Parcours de diplômés

Interview diplômÉe

Nadine MILLOT

Nadine Millot : Professeure des Universités – Directrice adjointe du Laboratoire ICB – Présidente du Conseil Académique de l’université de Bourgogne

Pouvez-vous vous présenter ? 

J’ai 51 ans, je suis maman de trois enfants de 23, 18 et 11 ans et je suis enseignante-chercheuse au sein du laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne, unité mixte de recherche associée à l’Université de Bourgogne et au CNRS.

Je suis diplômée ESIREM, promotion Hélium et j’ai choisi le milieu académique afin de combiner toutes mes passions : la recherche, l’enseignement et les liens avec le tissu industriel (par des projets de recherche communs ou le suivi de stages, par exemple).

Je suis chimiste des matériaux et je mène mes recherches en lien avec le secteur de la santé. Ainsi, je travaille en nanomédecine et je contribue à développer des nanoparticules inorganiques comme outil de diagnostic ou nouvel agent thérapeutique, ceci pour lutter notamment contre le cancer.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours académique et professionnel ? (Depuis votre diplôme à l’ESIREM jusqu’à votre poste actuel à l’université de Bourgogne)

En parallèle de ma dernière année à l’ESIREM, j’ai suivi un Master de Recherche en Physique (DEA à l’époque). J’ai alors enchaîné deux stages en entreprise pendant 9 mois : l’un au centre de Recherche de l’Air Liquide en région parisienne et l’autre au sein du service Méthodes-Process de la société AVX, sur Dijon. Ces expériences m’ont confortée dans mon choix de poursuivre en thèse, consciente que dans le domaine de la recherche, un doctorat est essentiel pour être considérée par ses pairs, même au sein d’une entreprise. Elles m’ont aussi confirmée que je souhaitais garder des liens avec le monde industriel, ce que j’ai toujours eu à cœur lors de ma carrière.

Grâce à une bourse de thèse Docteur-Ingénieur du CNRS, j’ai intégré un laboratoire de physico-chimie de l’Université de Bourgogne, le LRRS, dans l’équipe du Professeur Jean-Claude Nièpce, l’un des professeurs fondateurs de l’ESIREM. J’ai alors souhaité m’exercer à l’enseignement universitaire et j’y ai pris goût.

J’ai ensuite réalisé un stage post-doctoral à l’INSA de Lyon, avant d’être recrutée Maître de Conférences au sein de mon laboratoire de thèse. Lors du départ en retraite de Jean-Claude Nièpce, j’ai « hérité » de certains de ses cours à l’ESIREM (en cristallographie principalement mais aussi en céramique). Au fil des années, même si mon poste ne dépend pas de l’ESIREM, j’ai pris diverses responsabilités au sein de l’école : de modules, des stages de 4ème année puis au sein de la cellule International.

En 2005, j’ai passé mon HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) et je me suis présentée à un concours de Professeur des Universités en 2009 ; poste que j’ai obtenu. J’ai initié une thématique de recherche au sein de mon laboratoire et ai créé une nouvelle équipe, dans le domaine de la nanomédecine. Cette thématique était alors en plein essor et m’a permis de mobiliser une appétence personnelle pour la biologie, matière que j’avais dû abandonner après le lycée.

En 2021, je suis devenue directrice adjointe de l’ICB et en 2024, j’ai été nommée Présidente du Conseil Académique de l’université de Bourgogne. Mes nouvelles fonctions seront d’animer ce conseil, organe compétent pour l’examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs.

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés en tant que femme dans domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ? 

J’ai eu la chance d’être énormément poussée par mon mentor, le Prof. Jean-Claude Nièpce, qui croyait en moi et m’a toujours incitée à aller de l’avant. Malgré tout, certains collègues ont vu d’un mauvais œil que je souhaite m’émanciper, lancer de nouveaux thèmes de recherches, prendre des responsabilités et oser défendre un point de vue devant un auditoire. Certaines prises d’initiative ont ainsi été lourdement sanctionnées. Je ne suis pas convaincue qu’un homme aurait été traité de la même façon. Malgré quelques désagréments, j’ai eu la chance d’être soutenue par la grande majorité de mes collègues.
Le principal défi de ma carrière repose finalement sur la gestion de ma vie familiale, de concert avec ma vie professionnelle. Un homme qui prend des responsabilités, qui fait carrière, a souvent une compagne qui s’occupe de façon prononcée des enfants, de la maison. Dans certains couples, ces tâches sont très bien réparties mais ce n’est malheureusement pas le cas toujours…

En quoi consiste votre travail en tant que Directrice Adjointe de l’ICB, et quelles sont vos principales responsabilités ? 

Je fais partie de la direction du laboratoire. Nous prenons collégialement certaines décisions budgétaires, stratégiques ou de gestion du personnel. La mission principale que m’a confiée le directeur est l’animation du conseil scientifique du laboratoire. Ce comité sélectionne les doctorants financés via l’école Doctorale Carnot-Pasteur, propose une animation scientifique du laboratoire via par exemple la création d’axes de recherche transversaux (autour de la santé, de l’environnement etc.), attribue des financements pour la recherche via un Bonus Qualité Recherche (BQR) interne au laboratoire etc. L’écoute et le dialogue sont aussi essentiels et occupent une partie importante de mon temps. Il est important de rassurer, de faire passer les informations, de tenter de résoudre des problèmes et de soutenir les projets d’évolution professionnelle des collègues.

Comment votre expérience en tant que femme a t’elle influencé votre approche en tant que professeure et chercheuse ? 

Mon expérience de femme se décline, selon moi, sur deux volets. Ma sensibilité peut être un atout concernant la gestion du personnel, et mon expérience de mère de famille devant gérer vie privée et vie professionnelle, fait que la gestion du temps est primordiale pour moi. La plupart de mes collègues apprécient mon organisation et la façon dont je mène les réunions, pour limiter les pertes de temps.
Le quotidien d’un enseignant-chercheur, c’est aussi la formation des jeunes à la recherche. Cela se traduit par l’encadrement de stagiaires ou d’étudiants en thèse. Mes exigences mais aussi ma compréhension, de mère de famille, déteignent alors sans aucun doute sur ma façon d’encadrer ces jeunes.

Quels sont, selon vous, les défis les plus gros auxquels les femmes sont confrontées dans le milieu universitaire et scientifique aujourd’hui ? 

Les défis les plus gros concernent toujours la gestion de la vie personnelle et de la vie professionnelle. Il est maintenant quasi-impossible d’obtenir un poste sans avoir une expérience professionnelle à l’étranger, cela retarde le moment de créer une famille.

Les financements récurrents de la Recherche par l’Etat ou par la Région n’existent presque plus. Il faut savoir dégager du temps pour déposer des projets et financer ses recherches. Les taux de succès sont au mieux de 30%, cela veut dire qu’il faut déposer plusieurs projets ou resoumettre un projet plusieurs fois pour espérer obtenir des fonds. Cela conduit à une concurrence et à un stress qu’il faut savoir gérer. Les femmes doivent se sentir plus légitimes à vouloir réussir une carrière, obtenir des promotions. Ainsi, seulement 18 % des Professeurs d’Université sont des femmes dans le domaine des Sciences et Techniques. De ce fait, les femmes Professeurs d’Université sont sur-sollicitées pour participer à des comités dans lesquels la parité est de mise (recrutement, promotion etc.).

En regardant en arrière, comment évaluerez-vous l’impact de votre formation à l’ESIREM sur votre parcours professionnel jusqu’à présent ? 

Cette formation a été déterminante et m’a construite. Avant d’entrer à l’ESIREM, j’étais en licence à la faculté des Sciences et Techniques, ici à Dijon. Je n’étais pas à l’aise au sein de ces promotions de plus de 400 élèves, avec des groupes changeant chaque semestre et sans vie associative. Lorsque j’ai intégré l’ESIREM, j’ai découvert une famille. Le sentiment d’appartenance était déjà très fort, alors que nous n’étions que la deuxième promotion. Tout était à construire. Sous le mentorat de la promotion Hydrogène, nous avons contribué à construire beaucoup : promotion de l’école, journée d’intégration des nouvelles promotions, tournoi des 5 ballons, raid ESIREM, gala de remise des diplômes etc. La vie associative était très riche et le niveau scientifique très élevé. Les matières en lien avec le monde de l’entreprise ont été une belle découverte et une source d’épanouissement également, notamment le jeu d’entreprise Chadora. Les nombreux stages obligatoires, le travail en projet et en équipe, l’exercice de la communication sous différentes formes, m’ont donné cette envie d’animer des activités de recherche au sein de l’Université de Bourgogne.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui envisagent de poursuivre une carrière dans la recherche ? 

Je leur conseillerais de ne jamais douter d’elles. D’oser ! Le problème des femmes, quel que soit leur âge et leur milieu social, est trop souvent de douter, de penser qu’elles ne sont pas capables, qu’elles ne méritent pas… contrairement à la majorité des hommes qui se posent moins ce type de questions et repoussent plus facilement leurs limites. Je l’observe clairement dans les commissions d’évaluation de mes collègues, une femme demande une promotion ou une prime, des années après un homme du même âge… quand elle la demande !

Les jeunes femmes doivent oser car elles ont des atouts indéniables : les mêmes capacités intellectuelles, une sensibilité, un esprit critique, des aptitudes organisationnelles parfois plus aiguisées… qui sont autant de qualités essentielles en recherche et dans la gestion d’équipes.

En quoi la journée internationale des droits des femmes est-elle importante pour vous ? 

Force est de constater que des progrès ont été faits ces dernières décennies. Pour autant, il reste encore de nombreuses iniquités entre les hommes et les femmes, dans la société et de fait dans le monde professionnel. Une telle journée aide à cette prise de conscience et, je l’espère, sensibilise nos politiques et les jeunes générations à gommer ces différences qui perdurent, à repousser les limites et briser le fameux plafond de verre.